Il y a plus d’un mois, nous écrivions sur le conflit qui opposait l’armée fédérale Éthiopienne ainsi que des milices Amhara aux forces du Front Populaire de Libération du Tigrée dans le nord du pays. Fin novembre, la capitale Makalé tombait aux mains de l’armée, après plusieurs grandes villes, reléguant le FPLT dans dans les zones montagneuses et la campagne de la région, pour s’y adonner à la guérilla. Depuis, Abiy Ahmed, le premier ministre, clame sa victoire dans une région dont l’accès est encore largement limité pour les ONG et la presse, alors que les Nations Unies et d’autres organisations craignent une crise humanitaire et des crimes de guerre. En parallèle, depuis la fin du mois de décembre, plusieurs autres régions sont touchées par des conflits, entraînant le pays dans une situation de plus en plus périlleuse. Les rivalités inter-ethniques et internationales jouent en effet à plein ces dernières semaines, et menacent de déstabiliser encore la situation.

Un soldat de l'armée Éthiopienne pris en photo à Dansha le 25 novembre dernier
Il y eut d’abord ce massacre de 207 villageois à majorité Amharas autour de Metekel, dans la région du Benishangul-Gumuz, le 24 décembre dernier. Si l’armée a rapidement été dépêchée sur place, ces violences sont liées à des hostilités inter-ethniques. Cette région frontalière du Soudan et située à l’ouest de l’Éthiopie, a été crée de toutes pièces en 1991 quand la République Démocratique Populaire d’Éthiopie, dictature militaire soutenue par l’URSS, fut renversée. Elle réunit un ensemble d’ethnies parmi lesquelles des minorités dites « indigènes », désignées par la Constitution pour gouverner, et détentrices de terres fertiles, et des populations appartenant aux ethnies majoritaires Oromo et Amhara. Or, ces derniers mois, les tensions s’exacerbent entre les groupes « indigènes » sous-représentés, victimes de préjugés racistes et qui voient leur autorité politique de plus en plus contestée, et les groupes Oromos et surtout Amharas qui convoitent leurs terres. C’est autour de ces terres que se sont cristallisées les tensions ethniques qui ont donné lieu au massacre du 24, denier avatar d’une série de violences qui touchent cette région dernièrement. Si ce sont les Amharas qui ont été ciblés dans cette attaque meurtrière, c’est parce qu’ils ils considèrent que la zone de Metekel leur revient de droit. En effet, cette ethnie qui représente la seconde ethnie majoritaire du pays avec 20% de la population, derrière les Oromos, possède un mouvement nationaliste très actif qui a notamment obtenu en novembre en envoyant des milices se battre au Tigré le rattachement de force des zones de Wolkait et Raya à la région Amhara. De plus, les Amharas sont représentés par une faction influente au pouvoir. Dans ce contexte, la demande d’autorisation faite fin décembre au premier ministre par la région Amhara d’envoyer ses forces spéciales au Benishangul-Gumuz au côtés des forces fédérales constitue un signe négatif dans la pacification de la région. Si elle a pour l’instant été refusée, Abiy Ahmed dispose de peu de marge de manoeuvre et pourrait être contraint de céder à la pression nationaliste Amhara, au risque de plonger une nouvelle région dans le chaos, cette fois d’une guerre inter-ethnique.
Outre les ambitions territoriales Amharas, l’Éthiopie fait aussi face à des tensions régionales autour de terres disputées cette fois par un voisin, le Soudan. Il s’agit du triangle d’Al-Fashaga, un territoire près du Tigré à la superficie de 250km carrés, et qui comporte une fois de plus des terres fertiles. Il est disputé par les deux pays, car s’il est sensé appartenir au Soudan selon les textes internationaux, il est en fait occupé par des populations Amhara Éthiopiennes, ou du moins était-ce le cas avant le 28 décembre. En effet, ce jour-là, le Soudan a déclaré avoir reconquis la zone, après avoir utilisé abondamment son artillerie. Ce conflit frontalier est exacerbé par des tensions entre l’Éthiopie et ses voisins du fait du projet unilatéral de Barrage de la Renaissance, construit par le premier en amont du Nil, et dont le remplissage du réservoir perturbe l’écoulement du fleuve qui représente une ressource centrale pour les pays où il s’écoule. Ce projet, qui porte la promesse d’une nouvelle croissance durable pour le pays, est loin de faire l’unanimité et place l’Éthiopie dans une situation délicate.
Plus d’un mois après la prise de la capitale du Tigré donc, l’Éthiopie semble toujours plus en guerre. Elle fait face à deux nouveaux foyers de conflits, alors même que le premier n’est pas éteint, et est en même temps menacée d’un violent conflit inter-ethnique alimenté par l’appétit territorial des nationalistes Amharas, et d’un affrontement armé à se frontière avec le Soudan.
Benjamin Milkoff