Le 20 mai dernier, Israel et le Hamas annonçaient un cessez-le-feu mettant fin à une guerre de 11 jours qui a tué 230 palestiniens et 12 israéliens. Une guerre inédite par l’ampleur de la mobilisation palestinienne car même les arabes d’Israel, qui représentent 23% de la population et sont généralement jugés plus intégrés, ont participé aux nombreuses manifestations, parfois mortelles, qui ont émaillé l’ensemble du territoire du Jourdain à la Méditerranée. À l’issue de ce conflit, le Hamas était sorti renforcé, apparaissant comme la force qui a su fédérer l’ensemble des palestiniens autour de la cause nationaliste. Israel pour sa part avait utilisé le casus belli des bombardements du Hamas le 10 mai pour non seulement détruire une partie de ses infrastructures notamment souterraines, mais aussi pour ramener la bande de Gaza plusieurs années en arrière en détruisant ses plus gros immeubles et en visant d’importantes artères. Une manière d’affaiblir matériellement le Hamas. Et si Gaza est habituée aux destructions, elle ressort considérablement endommagée de ce conflit éclair. Un mois après l’entrée en vigueur du cesser-le-feu le 21 mai dernier, qu’est devenue la situation en Israel ?
Transition historique
Côté Israel, cela fait deux ans que le pays fait face à une impasse politique. Benjamin Netanyahu est premier ministre depuis 12 ans sans discontinuer, mais il a été incapable ces deux dernières années de constituer des majorités suffisamment stables à la Knesset, le parlement, pour pouvoir gouverner. Cela fait par exemple deux ans que le pays n’a pas voté de budget. En mars dernier, peu avant que les troubles ne débutent à Jérusalem, il avait remporté les quatrièmes élections législatives en deux ans, mais a finalement échoué à constituer un nouveau gouvernement. Une question d’autant plus sensible qu’il est accusé par la justice de corruption, fraude et abus de confiance, accusations dont seule l’immunité due à la fonction de premier ministre le protégeait. C’est finalement un de ses anciens collaborateurs, Naftali Bennett, qui lui a succédé dimanche dernier à la tête d’une coalition des plus hétéroclites - elle réunit 8 partis allant de l’extrême droite religieuse dont M. Bennett est issu à des partis de gauche et, pour la première fois, des partis arabes. Il devra à son tour céder sa place au centriste Yair Lapid en 2023, dans le cadre d’un accord de gouvernement. Ce dernier, qui possède le plus grand nombre de voix à la Knesset au sein de la coalition, est en position d’imposer ses vues, plus modérées. Ce nouveau gouvernement pourrait changer la donne. S’il a reconduit Benny Gantz au ministère de la défense, assurant à priori une certaine continuité stratégique, il repose sur la nécessité du compromis et de la modération pour ne pas faire éclater cette coalition très large. M. Bennett a dors et déjà annoncé qu’il devrait se concentrer sur des réformes économiques et sociales, là ou M. Netanyahu avait exalté l’extrême droite religieuse, directement responsable dans le déclenchement de la guerre, pour se renforcer en s’y alliant, puis utilisé ce même conflit pour essayer de rallier l’opinion à lui.
Premier signe de cette modération, le gouvernement israélien a honoré un engagement de principe négocié par la mandature précédente en livrant vendredi un million de doses de vaccin Pfizer à l’autorité palestinienne. Cette dernière a finalement rejeté ce « prêt » qui devait être remboursé à l’automne sur les doses commandées par Ramalah, au motif que les flacons étaient trop proches de leur date de péremption pour être déployés. Malgré cet échec, le geste, moins d’une semaine après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, donne le ton d’une potentielle coopération accrue avec l’autorité palestinienne, sortie affaiblie du conflit récent face à la popularité nouvelle de son rival du Hamas.

Naftali Bennett à la Knesset dimanche
Tensions
Cette semaine a aussi rappelé que les tensions n’étaient jamais très loin. Mardi, la marche des drapeaux, qui devait avoir lieu le 10 mai, a occasionné une nouvelle flambée, a priori plus controlée cette fois. Cette fête, célébrée par des manifestants d’extrême à Jérusalem, commémore la conquête de la ville en 1967 et tourne souvent à la provocation des populations arabes. Elle avait été repoussée au dernier moment en mai après avoir joué un rôle dans la montée des violences. Elle s’est finalement tenue mardi, sous étroite surveillance et selon un trajet revisité par les autorités pour éviter la vieille ville arabe. À cette occasion, des slogans tels que « mort aux arabes » ont à nouveau été entendus dans les rangs des marcheurs. Cette manifestation, bien qu’encadrée, a entraîné le tir de ballons incendiaires vers Israel par le Hamas qui la considère comme une provocation. En réponse, Israel a réalisé de nouvelles frappes à l’encontre de positions du Hamas dans l’enclave gazaouie. Ces nouveaux échanges, un mois après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, montrent que le conflit israélo-palestinien connaît une trêve, et non une paix. Mais cette fois, ces tensions semblent s'inscrire à nouveau dans le schéma classique qui prévalait avant la guerre : tirs isolés du Hamas ou du djihad islamique - l’autre groupe islamiste implanté dans Gaza qui a aussi participé à la récente guerre - pour imposer un rapport de force et ainsi peser politiquement et frappes ciblées israéliennes en réponse, usant du prétexte de l’agression pour viser des cibles stratégiques et affaiblir ses adversaires. Il paraît peu probable qu'on assiste tout de suite à une nouvelle escalade, en partie car la Hamas a déjà atteint ses objectifs et est relativement affaibli par les frappes qu'il a essuyées, mais aussi car Israel estime avoir détruit suffisamment de cibles et le gouvernement de M. Bennett devrait être moins enclin à une nouvelle démonstration de force.
Recomposition
Finalement, ce conflit aura permis une recomposition importante de l’équation israélo-palestinienne, avec un exécutif israélien renouvelé pour la première fois depuis une décennie, malgré le retour en force ces derniers mois de la droite nationaliste religieuse. En face, côté palestinien, le Hamas est certes plus en vue, mais la nouveauté réside surtout dans la mobilisation nouvelle de l’ensemble de la population palestinienne, y compris au sein de la société israélienne avec la communauté des arabes israéliens. Du point de vue international, et notamment dans les opinons publiques des pays arabes qui ont récemment normalisé leurs relations avec Israel - Émirats Arabes Unis, Bahrein, Maroc et Soudan, l’intensité des bombardements et de la répression israélienne ont terni l’image du pays. Ont notamment été commentés le fait qu’il ait ciblé à Gaza des immeubles d’habitation, des bureaux de presse n’abritant a priori pas de combattants du Hamas, ainsi que l’ampleur du déséquilibre dans le nombre de morts causées par le conflit. Autant d’éléments qui fragilisent la position d’Israel dans les esprits.
Par ailleurs, l’élection ce week-end au terme d’un scrutin sans suspens - ses opposants réformateurs avaient été préalablement écartés par le Conseil des Gardiens de la Constitution, du conservateur Ebrahim Raïssi en Iran peut modifier l’équilibre géopolitique dans la région. Israel, qui semble avoir fait le chemin inverse en se dotant d’un gouvernement un peu plus modéré, pourrait en tirer profit du point de vue diplomatique. Si le conflit de mai dernier a accéléré voir crée certaines dynamiques, il ne faut pas non plus considérer la nouvelle donne politique comme une révolution copernicienne. Le renforcement du Hamas et la consécration du rapport de force direct avec Israel ne risquent pas de favoriser la paix dans un futur proche. Qui sait combien de fois encore il faudra reconstruire Gaza ?