En ces temps d’isolement sanitaire, les échappatoires deviennent une denrée rare. Et parmi les anxiolytiques qui ont fait leurs preuves au cours du premier confinement, le cinéma s’est distingué. Chaque long métrage est en effet l’occasion de se plonger dans un univers radicalement autre, d’oublier le temps d’une fiction le quotidien et soi-même. Or s’il est un studio qui a gagné sa réputation en France et ailleurs grâce à cette faculté à faire rêver et anesthésier les coeurs, c’est bien le studio Ghibli. La poésie profonde qui se dégage de ses films a tant marqué que l’esthétique du studio est devenue une véritable marque -avec ce que ça implique de clichés et d’extrapolations-. C’est donc par une de leurs oeuvres que nous avons décidé d’ouvrir cette rubrique : Porco Rosso, sorti en France en 1995.

Ce long-métrage de 93 minutes nous plonge dans une Méditerranée fantasmée, constellée d’îles vierges et baignées d’eaux transparentes. Elle est le théâtre d’une nouvelle piraterie où l’hydravion a succédé aux trièmes, où les vétérans de la Première Guerre mondiale se substituent aux pirates barbaresques. Et au milieu de l’Adriatique, dans une crique paradisiaque et solitaire, vit Marco, le porc as de l’aviation, vétéran, et adversaire des pirates. À l’inverse de ses compères, il se rémunère en protégeant leurs victimes, et vit reclus, ne sortant que pour ses raids, ses commissions et pour visiter Gina dans son hotel. Cette dernière, par son charisme, son intelligence et sa beauté, a en effet crée un ilot où tous les pirates se réunissent mais où aucun conflit n’est toléré. Elle se place au dessus de ce banditisme mais aussi de la guerre qui ravit les hommes, brise les coeurs, attendant que son amour de toujours la rejoigne et abandonne ces activités. L’arrivée d’un pilote américain nouveau dans ces eaux, jaloux du charme et de la réputation du porc, perturbe ce petit monde et force Marco à naviguer entre ses relations, introduisant au passage le lecteur aux différentes subtilités de son univers. Le tout se déroule sur un fond de montée des nationalisme et d’un bellicisme enthousiaste, qui semble toutefois bien loin du monde idyllique où se déroule l’action. Hymne à la liberté et la bienveillance, ce film vaut particulièrement par les émotions qu’il procure, le voyage qu’il propose.
Pour expliquer cela, rien de tel que d’évoquer un des thèmes musicaux du film, récurrent, et sur lequel il s’ouvre : « Le temps des cerises », interprété ici par Yves Montant. En effet de bien des manières ce titre est l’épitome du film. À l’origine un chant d’amour mélancolique, devenu symbole politique d’une révolution idéaliste massacrée -la Commune-, le sentiment qui s’en dégage colle parfaitement avec le film. Par sa durée, son rythme qui prend son temps, la dimension profondément contemplative de chacune de ses scènes, sa texture sonore vieillie, ses décors ensoleillés et romantiques, son ambiance surtout de nostalgie mêlée de panache, tout dans ce film résonne avec ce chant stéréotypé et universel. L’amour romantique, la peine lancinante, la vieille camaraderie, l’idéalisme et l’antimilitarisme, tout y est. C’est là sûrement que réside la beauté et l’intérêt de ce film. Construit comme une véritable parenthèse, il nous plonge dans un univers familier et nous traverse, laissant au coeur à la fin une chaleur et une nostalgie qui persistent. Tout comme l’air du « temps des cerises » qui a finit par taper sur le système de beaucoup tant il est entêtant.
Voilà donc un film à regarder, non parce que le quotidien paraîtrait morose, mais parce que Porco Rosso est d’une richesse et d’une légèreté qui ne peuvent laisser de marbre. Ce film est un voyage condensé, une expérience à part entière, dont il serait vraiment dommage de se passer
Benjamin Milkoff